Les vagues de mobilisation actuelles dans le secteur du travail social sont venues mettre en exergue un syndrome de plus en plus répandu dans nos professions à savoir l’épuisement professionnel. Les travailleuses sociales et travailleurs sociaux sont en souffrance et nombre d’entre elleux s’effondrent à force de résistance.
Si nous nous accordons à dire que cela ne peut plus durer et qu’il est grand temps de prendre ce mal en considération, il semblerait que perdure l’idée sous-jacente d’une responsabilité attribuée aux personnes concernées lesquelles seraient mentalement fragiles. Parfois taxé de phénomène de mode, le burn-out est encore régulièrement décrit comme une fatigue passagère pouvant être dépassée si tant est qu’on y mette un peu de volonté.
Il s’agit selon moi d’une conséquence directe des méconnaissances persistant sur le sujet, faute de moyens mobilisés en terme de prévention, que ce soit en formation ou sur le terrain. Loin d’être sans répercussion sur l’accompagnement et la rémission des professionnel.le.s concerné.e.s, il me semble aujourd’hui plus que nécessaire de restaurer la vérité. C’est la raison pour laquelle je tenterai d’apporter ici quelques éléments de définition et de compréhension quant au risque d’épuisement professionnel tout en insistant sur la co-responsabilité existante entre employé.e et employeur.se dans le cadre de sa prise en charge.
Une affection psychosociale progressant dans l’ombre
Avant toute chose, il convient de poser le fait que le burn-out est une manifestation complexe qui a fait l’objet de nombreux travaux de recherche ayant permis d’en définir les contours sans pour autant parvenir à faire consensus. Malgré ses répercussions sur la santé des personnes concernées, celui-ci n’est à ce jour pas reconnu comme maladie professionnelle par l’Organisation Mondiale de Santé (OMS), les difficultés de diagnostic demeurant encore trop nombreuses du fait de la variabilité de ses manifestations cliniques. Il est considéré comme risque psycho-social, ce qui n’est pas sans conséquence sur les conditions de prise en charge et d’accompagnement.
Cela étant dit, les nombreuses lectures disponibles sur le sujet permettent à mon sens de dégager quelques éléments de définition sur lesquels je m’appuierai pour construire mon propos.
Initialement conceptualisé au regard des professions de la relation d’aide et du soin, ce syndrôme est décrit comme « un épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel » (définition de Schaufeli et Greenglass, 2001). Résultant d’une exposition prolongée au stress face auquel l’individu se met en résistance, il s’agit d’une atteinte physiologique ayant une incidence sur l’équilibre psychique.

Comme l’explique Christine Vasey, psychologue, il s’agit d’un processus lent et insidieux au cours duquel les symptômes apparaissent de progressivement. L’une de ses particularités est qu’il peut longtemps passer inaperçu tant aux yeux de l’entourage que du sujet lui-même d’une part parce que son installation s’effectue de manière très étalée dans le temps, d’autre part car la personne touchée a tendance à rapidement s’accoutumer aux maux ressentis, lesquels sont, de plus, souvent minimisés voire banalisés. Or, le fait de puiser dans ses ressources pour s’adapter aux perturbations ressenties ne se fait pas sans mal, les symptômes se multipliant et se superposant au fur et à mesure.
Plus le temps passe, plus leur fréquence et leur intensité augmente menant la personne concernée à l’effondrement, faute de récupération suffisante.
Pour simplifier les choses, le mécanisme du cette pathologie peut se voir comparé à celui du surentrainement sportif : l’individu repousse en permanence ses limites, s’investissant corps et âmes jusqu’à vider ses réserves énergétiques. Malgré toute sa bonne volonté, iel finit alors par se retrouver en totale incapacité de poursuivre, contraint.e de mettre son organisme en état repos en vue d’une récupération forcée.
D’autres images parlantes sont celles de la pile qui s’oxyde ou de la maison qui brûle : le sujet touché par le burn-out se consume progressivement de l’intérieur ne laissant rien, ou du moins que peu, paraître. A mesure de l’avancement du processus, les fondations bien que résistantes se laissent grignoter jusqu’à ce que la bâtisse s’effondre brutalement. Vous l’aurez compris, les situations d’épuisement professionnel ne sont donc pas de l’ordre d’une faiblesse mais résultent bien souvent d’un surinvestissement doublé d’une suradaptation en réponse à des attentes voire des exigences institutionnelles et/ou contextuelles inadaptées. Si certaines personnalités sont considérées comme plus à risque du fait de leurs profils, il me semble important de préciser que les facteurs individuels ne sont pas les seuls à prendre en considération quand on s’intéresse aux causes de ce syndrôme. Ceux-ci sont en effet à mettre en corrélation avec des déterminants organisationnels et sociétaux. Ainsi les conditions de travail tout comme la manière dont celui-ci est perçu et investi dans notre société peuvent avoir un fort impact sur la survenue de l’épuisement.
En clair, le burn-out peut tout à fait être désigné comme affection psychosociale puisque découlant d’un déséquilibre entre les attentes des organisations de travail et les ressources individuelles mobilisables. Ce point me semble essentiel puisqu’appuyant sur le fait que les responsabilités sont bien souvent partagées.
Un syndrôme tri-dimensionnel aux manifestations diverses et variées
Comme évoqué précédemment, l’épuisement professionnel résulte d’une rencontre singulière entre un individu et un contexte professionnel, une même problématique pouvant induire différentes réactions en fonction des personnes, de leurs vécus personnels et de leur rapport au travail. Une même situation n’aura donc pas un impact similaire sur tout à chacun.e. Cela n’est pas sans incidence sur la façon dont nous pouvons le prévenir.
Plusieurs autres points venant compliquer son repérage et donc son enrayement sont à prendre en compte. Ainsi, les symptômes qui le caractérisent peuvent être changeants d’une personne à l’autre. De même, leur récurrence et leur degré d’intensité ont tendance à fluctuer en fonction de l’avancement du processus. Ceux-ci peuvent de surcroit être similaires à ceux rencontrés dans d’autres cas pathologiques (stress ou fatigue chronique, dépression, trouble anxieux …) ne se traitant pas de la même manière d’où l’importance de faire établir le diagnostic par un.e professionnel.le de santé qui sera en capacité de faire la différence.
Cela étant admis, voici un aperçu non exhaustif des manifestations cliniques possibles :

Si l’on se réfère au modèle de Maslash et Leiter, le syndrôme d’épuisement professionnel s’inscrit dans un ensemble à trois dimensions. Le premier est l’épuisement émotionnel qui se traduit par une sensation de vide. L’individu ressent une fatigue intense laquelle semble irrécupérable. Il agit comme s’iel avait atteint son seuil de saturation émotionnelle, n’étant plus en capacité d’accueillir de nouvelles émotions. Iel peut alors se retrouver en proie à de fortes explosions émotionnelles ou à l’inverse faire preuve d’une froideur très marquée. La seconde est la dépersonnalisation ou déshumanisation des relations. Le sujet utilise alors le détachement comme forme de protection. L’Autre peut avoir l’impression d’être réduit.e à l’état d’objet. Diminution ou absence d’empathie, cynisme, sécheresse relationnelle en constituent les éléments les plus probants. Comme le précise le Docteur François Baumann, « cela se fait au prix d’un isolement non désiré, renforcé par un sentiment de solitude et la culpabilité de ne pas pouvoir y faire face ». La troisième est la diminution de l’accomplissement personnel s’exprimant par une sensation de perte d’efficacité professionnelle renforcée par une impression de nullité et d’incompétence. Cette phase est marquée par une chute de motivation et bien souvent une impossibilité à trouver sens à ses actions dans le cadre du travail. Au regard de tous ces éléments, le sujet finit par ne plus se reconnaître, se retrouvant à endosser des comportements se situant à l’opposé même de sa véritable personnalité. C’est en cela qu’on peut affirmer que l’épuisement professionnel va jusqu’à toucher l’identité même de la personne concernée.
Il est à noter que plusieurs instruments de mesure ont été élaborés de façon à accompagner les démarches diagnostics. Le plus utilisé est l’échelle MBI (Marshall Burn-Out Inventory) dont la version originale est spécifique aux métiers de la relation d’aide. Celui-ci a au fil du temps été décliné en deux versions dont une destinée aux ensignants et éducateurs (« Educator Survey »). Il s’agit d’un questionnaire d’auto-évaluation reprenant les 3 sphères précédemment évoquées.
Je tiens à préciser que bien que très accessible et propice à faire émerger une certaine prise de conscience chez les personnes concernées, celui-ci ne saurait se substituer à l’observation et l’analyse d’un.e professionnel.le de santé formé.e en la matière. Il comporte en effet quelques limites épistémologiques , ce qui doit inciter à une certaine prudence lors de son utilisation. Constituant une grave atteinte à la santé physique et émotionnelle, la rémission requiert par ailleurs une aide médicale et un accompagnement psychologique spécifique.
Un parcours de soin nécessitant implication personnelle et institutionnelle
« Je suis là à décrire la souffrance qui me hante. Lors de toutes ces insomnies, lors de chacune de ces nuits blanches, j’avoue j’ai capitulé face aux ténèbres qui me gagnaient. Anéanti, appesanti et prisonnier de tous ces silences qui m’assourdissent. Toutes ces voix funèbres me réduisent au silence.
Mais suis-je donc véritablement malade comme ils l’affirment ? «
Sois Social, « La fenêtre entrouverte – 2 »,
Comme je viens de l’évoquer, endiguer le processus d’épuisement professionnel implique une prise en charge particulière mais encore faut-il être en capacité de reconnaître son état afin de la solliciter. Malheureusement, celui-ci fait bien souvent l’objet d’une minimisation voire d’une négation tant de la part de la personne touchée que de celle de son environnement professionnel voire personnel. Générant incompréhension et sentiment d’impuissance, ces situations donnent couramment lieu à de fortes culpabilités.
Ce sont les raisons pour lesquelles les individus ne commencent à consulter qu’à un stade avancé de la maladie, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses tant pour elleux-mêmes, que pour l’organisation au sein de laquelle iels travaillent. Le burn-out, s’il n’est pas enrayé à temps, peut agir comme une véritable gangrène gagnant une à une toutes les sphères de la vie du sujet. Au niveau institutionnel, cela peut devenir un véritable fléau venant fortement impacter les équipes et la qualité de leur travail. C’est en tout cela que la sensibilisation et la prévention me semblent essentielles et que chaque parti a à se sentir concerné par la rémission.
Il est ainsi de la responsabilité de chacun.e de rester en alerte quant aux manifestations de cette pathologie que cela nous concerne directement ou pas. Bien que mettre les egos de côté ne soit pas toujours évident, cela peut permettre de limiter les dégâts si tant est qu’on soit en capacité de faire le lien. Ainsi, une dégradation des relations, un changement plus ou moins soudain d’attitude, un absentéisme et des retards marqués peuvent être le signe d’un mal-être et doivent selon moi nous inciter à porter notre attention tant sur ses origines que sur sa prise en charge.
Si l’on se concentre sur la question de la guérison, laquelle est un préalable indispensable à tout réajustement pérenne, il est à savoir que le simple repos ne suffit pas. Les arrêts ponctuels ou prises de congés éparses ne constituent qu’une halte dans la progression de l’épuisement et n’ont en ce sens pas de véritable efficacité. L’individu doit de fait s’inscrire dans un parcours de soin spécifique au cours duquel il pourra se saisir de moyens adaptés à sa condition.
Concrètement, la première étape consiste à consulter son médecin traitant, lequel devrait être à même de proposer une première ébauche de diagnostic et d’orienter le sujet vers les professionnel.le.s et dispositifs adéquats. J’apporterai tout de même un point de vigilance sur le fait qu’en lien avec l’absence d’une définition médicale claire du burn-out et d’une possible évolution sur un versant dépressif, celui-ci est souvent traité comme un trouble anxio-dépressif dans le cadre de la médecine générale. Cela induit entre autres la prescription d’un traitement médicamenteux, lequel n’est pourtant pas toujours indispensable, d’où la nécessité de compléter la prise en charge via l’accompagnement d’un.e psychologue formé.e sur la question.
Pour rappel, le burn-out n’est à ce jour pas officiellement considéré comme maladie professionnelle c’est-à-dire qu’il ne fait pas partie de la liste officielle de la sécurité sociale. Pour autant, solliciter la médecine du travail et alerter sur la situation peut être une piste à explorer de manière à faire valoir le caractère professionnel de la maladie, solliciter un mi-temps thérapeutique ou faire reconnaitre une inaptitude pour les cas les plus alarmants. Cela permet aussi à cet organisme de rester en alerte vis-à-vis de l’institution et éventuellement de travailler à prévenir les risques psychosociaux qui y sont propres.
Quand cela semble envisageable, et même si certain.e.s préfèreront la discrétion, il peut aussi être opportun d’informer l’employeur lui-même ou les instances représentatives du personnel car l’organisation a sa part de responsabilité dans l’émergence de la souffrance. Cela peut donc amorcer une prise de conscience et susciter remises en question et réajustements.
Vous l’aurez compris, le phénomène d’épuisement professionnel est finalement bien plus complexe que ce que les discours populaires laissent entendre. Etat de lutte intérieure, perte de contrôle, sentiment d’impuissance, voilà ce qui constitue la réalité des personnes concernées. S’il existe des facteurs de vulnérabilité individuels, certains cadres de travail sont aussi plus propices à l’émergence de la souffrance. Le burn-out est ainsi le fruit d’une combinaison factorielle impliquant à la fois le sujet et son environnement.
Pour faire le rapprochement avec les domaines du social et du médico-social, il n’est en définitive pas anodin que celui-ci prenne de l’ampleur aux vues de l’image socialement attribuée à nos métiers et de l’état de notre secteur. Injonctions multiples et parfois contradictoires, accompagnement de situations qui semblent parfois inextricables, détérioration de nos conditions d’exercice au prix de la qualité de notre travail, tant de facteurs venant intensifier les charges émotionnelles et les conflits de valeurs. Difficultés auxquelles nous devrions faire face sans sourciller puisqu’ayant choisi cette voie par vocation. Les travailleurs sociaux doivent s’investir corps et âmes peu importe ce qui leur en coûtera. Le sacrifice ferait partie du jeu. Alors s’engager, contribuer, oui mais pas au péril de nos vies. Encore une fois, out est question d’équilibre.
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Quelques ressources pour aller plus loin:
Deux livres m’ont permis de mieux comprendre ce que recouvraient les termes de burn-out et d’épuisement professionnel:
- Le burn-out, de Philippe Zawieja qui traite le sujet de manière très complète d’un point de vue théorique. L’auteur nous y présente notamment les différents modèles analytiques existants ainsi que les outils de mesure existants
- Rester vivant au travail – Guide pour sortir du burn-out, de Catherine Vasey qui est un ouvrage très accessible permettant aux personnes concernées de mieux comprendre ce qui leur arrive. Il peut être abordé comme support complémentaire d’accompagnement vers la guérison.